De la salle : En patinage artistique, nous avons l’exemple d’un athlète qui a de réels problèmes dentaires, mais auquel nous ne faisons rien.
Philippe BOISSONNET : Le trouble postural peut être bien compensé. La moindre intervention peut alors se révéler très perturbante. J’ai suivi une athlète de haut niveau à qui je n’ai fait qu’une gouttière. Je n’ai pas voulu qu’elle entreprenne un traitement d’orthodontie alors qu’elle était au top de ses possibilités.
Mon travail lui a permis d’améliorer ses performances. Elle fera son traitement d’orthodontie plus tard, lorsqu’elle aura quitté le circuit, sinon elle risque de subir le même sort que Carl Lewis, qui était au creux de la vague lorsqu’il suivait son traitement d’orthodontie.
De la salle : Il peut en résulter l’apparition de tendinites ?
Philippe BOISSONNET : Les tendinites résultent soit d’un problème d’hydratation, soit d’un problème de foyer infectieux dentaire mal soigné, soit d’un mauvais entretien de l’hygiène dentaire, (brossage) soit encore d’un problème de drainage au niveau du foie.
En médecine chinoise, le foie est l’organe des tendons et des ligaments.
De la salle : Comment respirer avec une gouttière ?
Jean-Luc DARTEVELLE: La gouttière est adaptée, peu encombrante. Elle est placée à la mandibule. L’athlète peut parler et respirer tout à fait normalement avec sa gouttière en bouche. Ce n’est pas comparable avec l’encombrement d’un protège-dents.
Patrick HESCOT: Jimmy Vicaut, champion d’Europe junior du 100 m et vice-champion du monde du relais 4x100 m, nous a rejoints. Il est accompagné de son entraîneur Guy Ontanon, qui a également entraîné Christine Arron.
Guy ONTANON : Lorsque je commence à travailler avec un athlète, je lui fais réaliser un check-up complet, au plan musculaire et au plan dentaire. Trop souvent, des athlètes arrivent avec des chaussures qu’ils ne changent pas.
Un simple changement de marque peut engendrer une tendinite. J’entraîne aussi Ronald Pognon, qui a eu de gros problèmes dentaires.
Le fait de résoudre ces problèmes contribue de manière très importante à améliorer la condition physique d’un athlète : les blessures sont moins nombreuses, les tendinites disparaissent.
Jimmy VICAUT : Je suis entré à l’INSEP il y a trois ans. Je ne sais pas si la cause est dentaire, mais je me blesse toujours aux ischio-jambiers. Je ne sais pas d’où vient le problème.
Jean-Luc DARTEVELLE : J’ai pris en charge Jimmy au printemps dernier. Les soins ont été réalisés : traitements de foyers, des réglages d’occlusion, soins de caries… Il faut maintenant attendre mais Guy Ontanon vous confirmera que la blessure qui a motivé sa visite est un mauvais souvenir.
Guy ONTANON : J’ai une question d’entraîneur à vous poser. Ne serait-il pas utile de se brosser les dents après une séance d’entraînement, lorsque la salive est acide ?
Jean-Luc DARTEVELLE : Le plus simple est de se rincer la bouche avec de l’eau, quitte à la cracher par la suite.
Guy ONTANON : Tous mes athlètes boivent de l’eau. J’aimerais savoir quel genre de petits conseils je pourrais leur donner.
Jean-Luc DARTEVELLE :Il est toujours utile de se brosser les dents. Si le taux d’acidité est vraiment important en fin de séance, il est toujours possible de le diminuer en mâchant un chewing-gum sans sucre.
Patrick HESCOT : S’il n’est pas possible de se brosser les dents, il faut, en cas d’acidité élevée, se rincer la bouche avec de l’eau et mâcher un chewing-gum sans sucre pendant 20 min.
Cela permet de diminuer le risque de carie de manière très importante.
Jean-Luc DARTEVELLE : Je tiens à insister sur le fait que la première règle pour un chirurgien-dentiste doit être de ne pas toucher à un sportif qui va bien, en dehors du soin des caries ou des foyers. Il faut toujours éviter de faire des modifications dentaires importantes sur un sportif en équilibre, et performant.
De la salle : Je suis chirurgien-dentiste à Pau. Le port d’une gouttière en situation de relaxation peut-il permettre à un athlète sain d’améliorer ses performances ?
Des athlètes l’ont-ils déjà fait ?
Philippe BOISSONNET : Si l’occlusion est parfaite, ce qui est rare, et qu’il y a un bon respect de l’équilibre neuro-musculaire, la gouttière de relaxation ne va rien apporter. Chez quelqu’un qui en a besoin, la gouttière peut améliorer la force explosive.
Les athlètes qui présentent des passages de langue (entre les arcades, lors de la déglutition par exemple) pourraient être moins performants dans les phases de départ car la position de leur langue peut entraîner un problème au niveau postural.
De la salle : Un athlète qui se crispe, donc qui a les mâchoires serrées, perd-il réellement en efficacité par rapport à un athlète en relâchement musculaire ?
Guy ONTANON : Oui. Jimmy Vicaut peut vous le certifier. Il avait tendance à courir de manière très crispée. Nous avons donc travaillé le relâchement, ce qui l’a fait progresser.
En revanche, je ne sais pas si une gouttière est un plus pendant ou hors de l’entraînement. Les spécialistes vous le diront.
De la salle : Nous mettons des gouttières aux patients crispés, notamment la nuit, afin de favoriser leur relâchement musculaire. Cela pourrait peut-être également servir à un athlète crispé.
Philippe BOISSONNET : La crispation diurne et la crispation nocturne ne sont pas du tout identique. Les puissances musculaires exercées pendant la nuit sont un moyen d’éliminer le stress.
Elles sont beaucoup plus importantes que les puissances exercées la journée, en éveil.
La nuit, rien qu’en serrant les dents, certaines personnes parviennent à se faire exploser des dents vivantes pourtant parfaitement saines. Par ailleurs, nous avons instinctivement tendance à serrer les dents en cas d’effort violent.
Avec une occlusion parfaite, la puissance sera bonne. Si l’occlusion n’est est pas bonne, l’effort ne sera pas performant.
De la salle : La correction de l’occlusion de Jimmy Vicaut s’est-elle accompagnée de modifications techniques, au niveau des appuis par exemple, sur la piste ?
Guy ONTANON : Nous apportons des modifications tout au long de l’année. Son attitude, sa technique de course et son relâchement ont évolué. Est-ce lié à la correction de son occlusion, au travail technique ou au travail avec le kinésithérapeute, qui le voyait régulièrement pour d’autres problèmes ? - Il est difficile de le dire.
Toutes ces actions sont communes. C’est un ensemble de choses qui ont fait que Jimmy Vicaut a progressé.
Dr Sophie DARTEVELLE : Dans l’exemple du tir à l’arc, les mesures sont faites en position statique. Il est donc possible d’observer de manière concrète les effets de la gouttière de repositionnement.
Dans le cas du sprint, ce type de mesure en position statique ne permet pas de mesurer l’impact des réglages occlusaux. Beaucoup d’autres facteurs interviennent pendant la course.
Dr Jean-Luc DARTEVELLE : Le travail du kinésithérapeute ne peut pas vraiment aboutir si des problèmes dentaires importants existent et ne sont pas traités. Il faut vraiment un travail d’équipe. La prise en charge des sportifs est un travail pluridisciplinaire.
De la salle : Je suis chirurgien-dentiste. Les athlètes que nous voyons sont jeunes. Je ne comprends pas pourquoi les problèmes de dents de sagesse, qui peuvent mettre un athlète au tapis, ne sont pas détectés de manière systématique.
Un panoramique dentaire me semble nécessaire. Pourquoi n’est-ce pas systématique ? Par ailleurs, je voudrais savoir si les athlètes des autres pays sont suivis de la même manière que les athlètes français à l’INSEP.
Jean-Claude VOLLMER : Le panoramique dentaire n’est pas obligatoire dans le suivi médical réglementaire, mais nous en réalisons beaucoup sur les jeunes en devenir.
Dans les centres régionaux, il n’y a pas de cabinet dentaire, ce qui pose le problème du coût de l’opération.
Il existe une véritable polyclinique dentaire au sein du village olympique depuis les Jeux de Sydney en 2000. En 1992, 600 examens dentaires avaient été menés durant les Jeux de Barcelone.
Quatre ans plus tard, à Atlanta, il y en a eu 900. C’est à partir de là que le Comité Olympique a décidé d’installer une véritable clinique dentaire dans le village olympique. Il s’agit donc d’une évolution très récente.
Le CIO a même édicté des recommandations dans le suivi pré-compétition.
L’équivalent de l’INSEP existe dans chaque pays, peut-être pas aussi grand et peut-être pas aussi porté sur le double projet que nous, puisque nous avons la volonté de « sortir » des athlètes compétitifs, mais également des diplômés qui trouveront un métier.
Sur le plan médical, je pense que nous sommes le seul centre au monde à être aussi bien équipé et à avoir autant de personnel, aussi bien médical que paramédical.
La santé générale, la santé dentaire ainsi que la prise de conscience de l’hygiène dentaire du sportif est essentielle et primordiale à l’INSEP. L'importance du choix de brosse à dents chez un sportif est primordiale. Il s'agit aussi d'un élément de contrôle permanent.
Source: compte rendu colloque national à l'INSEP et l'UFSB Santé Bucco-dentaire